Entre autres choses
Entre autres choses, ce qui m'intéresse chez Henri Michaux, c'est sa force de détestation.
Il déteste avec gravité, continuité, méthode. On a parlé à ce propos d'entreprise de détachement, vu sous l'angle curatif des taches qui vous maculent l'espace du dedans. Détester tout et tout le monde, c'est vrai, préserve efficacement des pressions de tous ordres. Henri Michaux n'a semble-t-il jamais baissé sa garde contre les idées du dehors.
Certes, d'autres voies existent: celle de la dérision par exemple. C'est une méthode éprouvée pour creuser convenablement son tunnel singulier. Mais la détestation a l'avantage d'être moins massacrante; elle se projette peu sur autrui. La dérision, elle, est comme une paire de claques; les gens n'aiment pas.
On pourrait dire aussi que Henri Michaux exagère un peu quand il s'en prend à la mer, aux poissons, aux bateaux, aux ports, aux populations indigènes. Cela est dur à entendre pour les nomades qui, nourris de Melville, Conrad, Mac Orlan via Victor Segalen, se croient vaccinés contre les formes les plus pernicieuses de l'exotisme. Enfin, là encore, il a sans doute raison. Il faut détester au moins de temps en temps ce qu'on aurait tendance à trop aimer.
Mais son enseignement le plus difficile, peut-être le plus profond, est quand il parle des vilaines bêtes que sont les mots; ces mots des idées préconçues; ces mots des autres; ces mots qu'il faut briser, abandonner pour enfin parvenir à transcrire l'indicible.
JF Flamand mars 99
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